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Des sculptures inconnues en Touraine

Vendredi 26 janvier 2024

par Jo Davidson

Un Américain en Touraine

Jo Davidson naît en 1883 dans le ghetto juif du Lower East Side de New York, de parents russes, et grandit dans une famille nombreuse aux ressources limitées. Sa fibre artistique s’exprime très tôt. Il suit des cours de dessin avant de rentrer à l’école de Médecine de Yale. Cette orientation ne l’empêche pas de continuer à créer et de découvrir par hasard le département de sculpture de Yale. Il dira par la suite dans son autobiographie : « Lorsque j’ai découvert la boîte contenant l’argile, j’y ai glissé ma main et touché le début de ma vie ». C’est décidé : malgré la déception parentale, Davidson choisi d’embrasser la voie artistique. Il rentre à New-York, travaille dans les ateliers de divers artistes puis, grâce au soutien de quelques collectionneurs, dont Gertrude Vanderbilt Whitney, part pour Paris en 1907.

Le Salon de 1913

Dès son arrivée, il étudie trois semaines à l’École des Beaux-arts, au sein de l’atelier de Jean-Antoine Injalbert, avant de rejoindre un groupe de peintres de l’avant-garde comptant notamment parmi ses membres Max Weber et Alfred Maurer, avec qui il organise la société des artistes américains à Paris. A Paris, le travail de Davidson est compliqué par une situation précaire, ce qui ne l’empêche pas de mener une vie de bohème partagée entre son atelier et les cafés-concerts de Montmartre. Il rentre quelques temps à New-York pour exposer son travail et épouse Yvonne de Kerstrart, actrice et créatrice de mode française. En 1910, il participe au Salon d’Automne, où il présente un grand nu féminin en terre cuite intitulé « La Terre ». Il cherche ici à retranscrire, dans un langage métaphorique, les sentiments que lui procure l’évocation de la nature. À cette période de sa vie, il côtoie les postimpressionnistes et s’éloigne progressivement de l’héritage académique. « La Terre » connaît un vif succès, elle est acquise par le Musée de Muskegon dans le Michigan, puis tirée en bronze. Le Whitney Museum en conserve un modèle réduit dans ses collections. L’artiste en tire un en béton pour sa collection personnelle.

Le portraitiste de l'Amérique

En 1913, il participe à l’Armory Show son succès naissant lui permet d’avoir deux studios, l’un à Paris et l’autre à New-York. Grand amoureux de la France, il loue avec Yvonne une maison à Céret, où il fréquente Picasso et Maillol. La première guerre mondiale est un choc majeur pour l’artiste et inaugure une nouvelle orientation décisive dans son travail : portraiturer les personnalités historiques et culturelles de son temps. Il écrit qu’à ce moment « la réalisation de portraits devint une obsession ». Au cours de sa vie, il réalise près de 400 portraits, dont ceux de quatre présidents américains : Woodrow Wilson en 1916, Herbert Hoover en 1921, Franklin Delano Roosevelt en 1933 et finalement Dwight D. Eisenhower en 1948. Ses portraits, très naturalistes, cherchent à distiller la personnalité des modèles, son traitement de la terre oscillant entre surface lisse et traces de modelage. Pendant les séances de pose, il encourage ses modèles à parler et bouger pour que ceux-ci se détendent et qu’il puisse capter leur essence. « Ce qui m’intéressait, c’était les gens eux-mêmes – être avec eux, les entendre parler et voir leur visage changer ». Parmi ces portraits, c’est sans doute celui de l’artiste et collectionneuse Gertrude Stein, réalisé en 1923, qui reste le plus extraordinaire. Quittant la forme traditionnelle du portrait en buste, il la représente assise, les mains appuyées contre le tablier de sa robe, en icône de l’avant-garde.

Le manoir de Bécheron

Si l’artiste est connu pour son habilité à représenter les accomplissements individuels, une autre partie de son œuvre, plus intime car liée à ses émotions personnelles, est demeurée cachée du grand public. En 1927, il retourne en France et acquiert une propriété du XVe siècle, le manoir de Bécheron, à Saché, près de Tours. Davidson transforme son immense grange en atelier tout en gardant sa belle charpente. C’est la première fois que l’artiste pose bagage et s’ancre véritablement quelque part. Bécheron devient alors une étape incontournable pour ses amis en visite, qui y admirent le jardin, devenu un grand musée à ciel ouvert. Tout au long de sa vie, Davidson réalise en effet des sculptures pour son propre plaisir, lesquelles sont très peu documentées. Il les conserve aussi bien à Paris qu’à Saché. Il dira dans une interview « Modeler de petits personnages et des bustes est sans doute ce que je préfère, mais les Américains ne veulent pas en entendre parler. Leurs préjugés à l’encontre des nus sont inébranlables ». On retrouve ainsi plusieurs de ces sculptures d’une beauté lyrique à Bécheron, telle L’Éveil au détour d’un bosquet, L’Aigle pêcheur sur un muret, La Terre dans un parterre de fleurs, ou Sitting Girl, assise au pied des escaliers du manoir, toutes offertes à la contemplation et au plaisir du visiteur.

L'initiateur de la venue de Calder en Touraine

Mais, en 1934, l’artiste perd sa femme. Dévasté, il réalise en son hommage le groupe sculpté « in Memoriam », la représentant allongée à l’antique, se mirant au-dessus du bassin de Bécheron. Bientôt, Saché accueille un autre géant de l’Histoire de l’Art. Pendant la seconde guerre mondiale, le fils de Jo, Jean Davidson, reporter pour l’agence France Presse, tombe amoureux de Sandra Calder, la fille d’un autre sculpteur américain, Alexander Calder. Ce dernier rend visite aux Davidson et tombe à son tour amoureux de la Touraine, où il s’installe au début des années 1950, dans la maison dite « François Ier », échangée à Jean contre trois mobiles. Calder vit et travaille à Saché jusqu’à sa mort, non sans avoir fait construire un nouvel atelier et une maison au « Grand Carroi », juste à côté de Bécheron.

Académie américaine des Arts et des Lettres

En 1947, Jo Davidson devient membre de l’Académie américaine des Arts et des Lettres. Une rétrospective réunissant près de 200 œuvres est organisée pour marquer cette nouvelle consécration. Souffrant de crises cardiaques à répétition, Davidson décide de se retirer dans sa résidence de Saché pour y passer les derniers mois de sa vie en compagnie de sa nouvelle épouse, la sculptrice Flore Lucius. L’artiste disparaît à l’âge de 69 ans en 1952, laissant derrière lui une œuvre monumentale, témoin des plus grands épisodes de l’histoire du vingtième siècle.

Hortense Lugand
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