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L’or rouge et noir du Japon

Samedi 27 janvier 2024

au royaume du Danemark

Japon, époque Edo, style Transition

Coffre aux pagodes, c. 1639-1645

en laque à décor en makie, or sur fond noir, de cartouches sur la façade, les côtés et le dessus du plateau ornés de pagodes, paysages inspirés des huit vues d’Ômi et de branchages. Les bords ceints d’une frise géométrique de fleurs à quatre pétales et les extrémités du couvercle de motifs de môns sur fond nashiji, aventurine. L’arrière présente un décor en makie, or sur fond noir, d’oiseaux dans des branchages, contenu dans un encadrement de frise géométrique.
L'intérieur et le revers du plateau en laque à fond rouge, avec un décor à l’or de fleurs et d'oiseaux.
Les coins, la plaque de serrure et les poignées sur le côté en laiton finement gravé de fleurs.
Serrure européenne.

Haut. 66,5 Larg. 154 Prof. 74,5 cm.
(restauration)

Il repose sur deux patins postérieurs en bois noirci. Haut. totale 80 cm.

Provenance :
- probable commission de François Caron, responsable du comptoir de la V.O.C. au Japon ;
- collection particulière, Pays Bas.
Certificat Art Loss Register, Londres, 12 avril 2024.

Japan, Edo-Period. A Transition style lacquer chest. Brass mounts. European lock. Identical to a chest kept in the Royal Collections of Denmark since the 17th century.

Œuvres en rapport : le pendant de ce coffre est conservé dans les collections royales du Danemark depuis le règne de Frederik III, inventorié en 1674 dans le Kunstkammer du souverain sous le numéro 20 ou le numéro 62 (Musée national du Danemark, Copenhague, inv. EAc 104).

Bibliographie :
- Impey et Jörg, "Japanese Export Lacquer 1580-1850", Hotei Publishing, Amsterdam, 2005, le coffre du Danemark reproduit p. 94 sous le n°131.
- Meiko Nagashima, "Export Lacquer: Reflection of the West in Black and Gold Makie = Japan Makie”, Kyoto National Museum, Kyoto, 2008, le coffre du Danemark reproduit sous le n°67.

Le pendant du coffre en laque du roi du Danemark

L’art de la laque est maîtrisé à un si haut point au Japon à la fin du XVIe siècle que son commerce devient prioritaire pour les puissances européennes qui y sont établies : Portugal, Pays-Bas et Angleterre. En 1635, dix ans après les Anglais, les Portugais sont définitivement évincés de l’Archipel, qui vit une période de reconfiguration politique. Le shogun Tokugawa s’impose parmi ses pairs, ouvrant l’ère Edo. La V. O. C., Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, tire profit de la proximité de son représentant François Caron avec le Shogun Tokugawa Iemitsu pour obtenir le monopole du commerce avec le pays du Soleil Levant. Faisant travailler les meilleurs ateliers de laqueurs, un nouveau style dit « Pictorialiste » est progressivement mis au point. Le style « Namban », avec ses couvercles bombés et les incrustations de galuchat et de nacre indienne qu’affectionnaient les Portugais, est abandonné. Une nouvelle technique, à la fois plus luxueuse de par son emploi de l’or mais aussi plus économique, car utilisée parcimonieusement sur un fond noir et des couvercles plats, est élaborée. On l’appelle « makie ». Ce changement du style « Nanbam » vers le style « Pictorialiste » dure une vingtaine d’années, jusqu’à la fin des années 1650. Un rare style dit de « Transition » est alors expérimenté, faisant cohabiter le nouveau décor « makie » et l’ancien style « Namban », avec ses encadrements de cartouches et de bordures géométriques.

Un rare coffre à fond rouge

Les thèmes du style « Transition » sont ceux des paysages traditionnels du Japon, immortalisés dans Les huit vues d’Ômi, et des grands mythes littéraires, à l’instar du Dit du Genji ou du Dit des Frères Soga. Ces thèmes trônent en majesté sur les quatre coffres exceptionnels, commandés en même temps que celui-ci par Caron, inventoriés au départ du Japon en 1643. Nous avons retrouvé le plus grand d’entre eux en 2013. Il était passé par la collection du Cardinal Mazarin et est maintenant conservé à Amsterdam (Rijksmuseum, n°AK-RAK-2013-3-1). Les trois autres coffres sont ou seraient à Londres (Victoria & Albert Museum, n°412:1, 2-1882), à Moscou (Musée historique d’Etat) et à Berlin (Charlottenburg, panneau monté sur un cabinet). Même pour cette commande, dite du « Fine group », la plus luxueuse jamais réalisée, le décor n’est libéré de l’entrave des cartouches que sur le panneau arrière. Sur toutes les faces visibles de notre coffre, à l’exception de l’arrière et de l’intérieur du couvercle, les scènes narratives sont délimitées par des volutes tandis qu’une frise de fleurs ou de « môns » longe les bordures extérieures. L’intérieur de ce coffre est à fond rouge alors que les autres coffres sont à fond noir, exception faite de celui de Mazarin, qui était recouvert d’une laque aventurine à la poudre d’or. Entre 1639 et 1645, les directives des 17 représentants de la V.O.C. réclament en effet expressément, non pas des fonds noirs, mais des fonds rouge vermillon et verts. Cent ans plus tard, les laques or à fond rouge, cette fois de Chine, feront à nouveau le bonheur des collectionneurs, remployés avec talent par l’ébéniste B.V.R.B. pour Machault d’Arnouville ou les ducs de La Rochefoucauld-Doudeauville. Notre coffre, réalisé au Japon, peut donc être daté très précisément de ces années charnières.

Les collection royales du Danemark

Les plus grands princes européens ont l’apanage de ces laques d’importation hollandaise dans leurs collections. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle, ils sont recensés chez les rois de France, du Danemark, de Suède ou de Saxe, comme chez le duc d’Orléans, les princes de Condé ou de Lorraine. C’est précisément chez Frederik III de Danemark qu’un autre coffre, pendant de celui-ci, de même structure, type de décor et même dimensions (H. 66 L. 152, P. 74 cm), est décrit dans l’inventaire de son cabinet de curiosité, peu de temps après son décès en 1674. Aujourd’hui conservé par le Musée National de Danemark (EAc. 104) son décor est une variation autour du même thème que celui-ci : Les Huit Vues d’Ômi et les environs du lac Biwa, où a été écrit Le Dit du Genji. L’historique de ce coffre remontant aux années 1950 est moins ancien que celui de la collection royale danoise. Leurs caractéristiques communes permettent cependant d’affirmer qu’ils sont le résultat d’une commande globale passée par la V.O.C. et son représentant François Caron à un seul et même atelier, avant de connaitre des fortunes différentes. On ne sait comment le coffre de Copenhague a intégré les collections danoises. Peut-être à la fin du mois de février 1658, lors de la signature du traité de Roskilde, négocié par les diplomates hollandais pour mettre fin au conflit entre Suède et Danemark au plus fort de la Guerre de trente ans ? Quelques semaines auparavant, en janvier 1658, Mazarin faisait en effet l’acquisition du stock de laque que la V.O.C. conservait, sans parvenir à le céder, depuis 1643. La Compagnie qui avait mis en pause ses commandes de laques depuis 1651 faute de client adresse alors, en juillet 1658, une nouvelle commande à son comptoir japonais. La page « Namban » est définitivement tournée grâce aux glorieuses heures du style « Transition », dont se sont entichés les souverains du vieux continent. Les laques arrivant du Japon en Europe répondent désormais pour une centaine d’année aux canons du style « Pictorialiste », faisant de ce coffre l’un des rares témoins d’une époque clé dans l’histoire du commerce mondial et du goût pour l’Orient.

Aymeric Rouillac
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